Tuesday, March 3, 2009

Le culte de Samuel Fuller



« Le cinéma, c’est comme un champ de bataille : l’amour, la haine, la violence, l’action, la mort … En un mot : l’émotion »
Samuel Fuller

Avant la Nouvelle vague, avant Scorsese, Spielberg et Tarantino, un homme a su exploiter la machine Hollywoodienne des années d’après guerre afin d’y imposer son style outrancier et sa vision d’un monde où le chaos peut survenir à tout moment. Cet homme, c’est Samuel Fuller.

Samuel Fuller (1912 – 1997)

On aurait dit que toute sa vie l’avait préparé à jouer ce rôle : journaliste de tabloid New Yorkais spécialisé dans les crimes crapuleux dès l’âge de 17 ans, puis fantassin au sein de la 1ère division d’infanterie américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale (il a participé au débarquement de Normandie et a combattu en Italie et en Afrique), Fuller a miraculeusement survécu à tout ce carnage pour pouvoir ensuite nous le raconter à sa façon dans des films qui ne peuvent laisser personne indifférent tellement il sait instinctivement comment capter et maintenir l’attention du spectateur ( Jugez-en vous même en regardant la stupéfiante séquence d'ouverture de son film The Naked Kiss, où une prostituée bat son pimp qui lui doit de l’argent (voir extrait ci-dessous) :



Compte tenu de son experience au front, on ne sera pas surpris de constater que les films de guerre de Fuller sont parmi les plus réalistes jamais tournés (Steel Helmets (1951), Fixed Bayonets (1951), Merrill’s Marauders (1962) mais surtout The Big Red One (1980) relatant son expérience personnelle de fantassin au sein de la 1ère Division d’infanterie et mettant en vedette Lee Marvin qui, comme Fuller, avait aussi combattu durant la 2ème guerre mondiale).

J’ai l’impression que les valeureux états de service de Fuller lui ont ouvert pas mal de portes à Hollywood et que cela lui a même permis d’aborder des thèmes que personne d’autre n’aurait osé toucher à cette époque. En 1963, par exemple, il osait aborder de plein fouet le thème du racisme dans son film culte SHOCK CORRIDOR, véritable descente aux enfers au sein d’un asile d’aliénés où circule un homme noir qui, dans son délire, se croit membre du Klu Klux Klan (voir ci-dessous).



Fuller avait d’ailleurs déjà abordé le thème du racisme en 1951 dans le film Fixed Bayonets, durant une scène clé où un prisonnier coréen discutait avec un soldat noir de l’armée américaine :

Coréen : - Je ne te comprends pas ! Tu peux seulement manger avec les soldats blancs si tu combats avec eux en temps de guerre, mais de retour chez-toi, tu ne peux pas.
Soldat noir : - Oui, en effet.
Coréen : - Et tu paies ton billet d’autobus, mais ils te font t’asseoir à l’arrière.
Soldat noir : - C’est vrai. Il y a 100 ans, je n’avais même pas le droit de prendre le bus. Maintenant, ils me laissent m’asseoir à l’arrière. Un jour, je pourrai peut-être m’asseoir à l’avant. Il y a des choses qui prennent du temps à changer …

Outre son audace au niveau des thèmes (racisme, prostitution et pédophilie dans The Naked Kiss (en 1963 !!), les relations inter-raciales dans Crimson Kimono (1959) et House of Bamboo (1955)), Fuller se démarque aussi par son audace comme réalisateur, faisant surgir la violence dans les moments où l’on s’y attend le moins, histoire de bien secouer le spectateur, comme dans cet étonnant plan-séquence «romantique» entre Barbara Stanwick et Barry Sullivan tiré du film Forty Guns (1957) (voir extrait ci-dessous).



Tarantino et Scorsese, fervents admirateurs de Fuller, ont souvent eu recours dans leurs films à ce même type d’intrusion soudaine de la violence, parfois d’une façon tellement incongrue qu’elle en devient presque comique (ex : Travolta qui tue accidentellement le jeune noir dans la voiture dans Pulp Fiction). Michael Cimino l’avait aussi fait dans Year of the Dragon, alors qu’une discussion de ménage entre Mickey Rourke et sa femme était soudainement interrompue par l’arrivée de membres de gang qui s’empressaient d’égorger celle-ci.

Bref, l’influence de Fuller se fait encore sentir aujourd’hui et ce n’est pas pour rien que de nombreux cinéastes lui ont rendu hommage au fil des années, entre autres en lui demandant de faire des apparitions caméo dans leurs propres films. Fuller a ainsi joué dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, L’état des choses et l’ami américain de Wim Wenders et 1941 de Steven Spielberg. Il a aussi fait l’objet d’un excellent documentaire intitulé The typewriter, the Rifle and the Movie Camera (1996) dans lequel des cinéastes tels que Jim Jarmusch, Quentin Tarantino et Martin Scorsese lui rendent un vibrant hommage, le tout parsemé d’entrevues avec ce coloré personnage et fascinant conteur qu’était Fuller.



Ses films Shock Corridor, The Naked Kiss , Pickup on South Street et The Big Red One ont atteint aujourd’hui le statut de films cultes.