Tuesday, September 8, 2009

Le culte de Ray Harryhausen



Je me fais plaisir aujourd'hui en parlant d'un génie de la technique d'animation image par image : Ray Harryhausen. A une époque qui pourrait sembler préhistorique pour certains (i.e. pré-Spielberg et pré-Lucas/Industrial Lights and Magic), Ray Harryhausen régnait comme le maître absolu de cette technique d'animation, donnant vie à d'inoubliables créatures mythiques et fantastiques.

Historique

C'est après avoir vu le KING KONG de 1933 que le jeune Harryhausen, ébloui par les effets spéciaux de Willis O'Brien, se mit à construire ses propres modèles de dinosaures miniatures afin de les animer par la technique de l'animation image par image. Il réussit éventuellement à présenter un démo de ses films à Willis O'Brien qui, impressionné, l'engagea comme assistant animateur pour le film MIGHTY JOE YOUNG (1949). Le film fut un succès et la longue et fructueuse carrière de Ray Harryhausen était lancée.

Si, dans les années 80s, l'apparition du nom de Steven Spielberg ou de George Lucas au générique d'un film nous assurait d'un bon divertissement, celui de Ray Harryhausen a été pendant des décennies (années 50, 60 et 70) lui aussi synonyme d'effets spéciaux stupéfiants mis au service de récits d'aventures fantastiques.

Harryhausen avait une prédilection pour les récits inspirés de la mythologie grecque (JASON AND THE ARGONAUTS (1963), CLASH OF THE TITANS (1980)) ou moyen-orientale (THE 7th VOYAGE OF SINBAD (1958), THE GOLDEN VOYAGE OF SINBAD (1974)), genre lui donnant l'occasion de donner vie à toutes sortes de créatures ailées (Pégase, harpies), de squelettes armés, de cyclopes, de dragons et de statues (Talos, Kali) qui, sous l'effet d'un quelconque sortilège, se mettent soudainement à bouger (voir extraits ci-dessous).

Il a su adapter sa technique a des films de science-fiction plus conventionnels (les magnifiques soucoupes volantes de EARTH VS THE FLYING SAUCERS (1956), le dinosaure de THE BEAST FROM 20 000 FATHOMS (1953)) et à des films d'aventures inspirés de Jules Verne (superbe séquence du crabe géant dans MYSTERIOUS ISLAND (1961)) ou de Jonathan Swift (THE THREE WORLDS OF GULLIVER (1960).

Toute une génération de futurs réalisateurs ont grandi en admirant les films de HarryHausen. John Landis a déjà décrit son premier visionnement au cinéma du 7ème VOYAGE DE SINBAD (alors qu'il était enfant) comme une "expérience transcendantale" durant laquelle il avait complètement oublié qu'il regardait un film tellement il se sentait plongé dans l'action (pas surprenant alors de voir Landis interviewer Harryhausen sur les extras du DVD du 7th voyage). En 1991, HarryHausen reçut le Gordon E.S. Award pour sa contribution technologique au cinéma des mains de Tom Hanks, qui lui dit en riant : "Le meilleur film de tous les temps n'est pas Citizen Kane, mais Jason et les Argonautes !"

Bien sûr, pour toute une nouvelle génération de jeunes spectateurs habitués aux spectaculaires effets spéciaux CGI de films comme JURASSIC PARK, les films de Ray Harryhausen sembleront aujourd'hui désuets, voire risibles. Certes, mais il n'en reste pas moins que pendant une trentaine d'années, Ray Harryhausen a à lui seul révolutionné le monde de l'animation tri-dimensionnelle et a créé certaines des séquences les plus memorables du cinéma fantastique. En voici quelques-unes :

Moment de terreur : la statue de Talos se met soudainement a bouger !



Le classique combat de Jason contre une armee de squelettes.



Finale de EARTH VS THE FLYING SAUCERS (avec commentaires de Ray Harryhausen)



GOLDEN VOYAGE OF SINBAD : La danse de kali



Crabe geant de MYSTERIOUS ISLAND

INGLORIOUS BASTERDS (2009)



Comment passer sous silence la sortie de INGLORIOUS BASTERDS, le dernier film de Quentin Tarantino ? Surtout que ce blogue a jusqu’ici mentionné de nombreux films auxquels Tarantino a déjà emprunté d’importants éléments (CHARLEY VARRICK, KISS ME DEADLY, les films de Samuel Fuller, etc.). Et puis, tout comme le reste de la filmographie Tarantinienne, BASTERDS deviendra probablement un film culte, alors … Allons y gaiement ! (En prévenant les lecteurs qui n’ont pas encore vu le film que ce texte comprend de nombreux SPOILERS !)

Dans l’ensemble, j’ai bien aimé le film, même s’il repose sur une prémisse qui est foncièrement illogique, c’est-à-dire (ATTENTION SPOILERS) : Pourquoi Hans Landa, personnage apparemment si fier de ses talents de détective et de ses nombreuses captures, LAISSE-T-IL S’ÉCHAPPER SHOSANNA au début du film ?? Il (ou ses trois sbires) aurait pu facilement l’abattre, mais il ne le fait pas ? POURQUOI ??

RÉPONSE : Parce que sinon IL N’Y AURAIT PAS DE FILM ! Bon sang mais c’est bien sûr ! ;-)

Non mais sérieusement, je croyais que ce détail nous serait éventuellement expliqué, mais il n’en est rien, et cet “illogisme’’ se révèle donc être une simple manœuvre scénaristique fort utile pour Tarantino mais légèrement agaçante pour tout spectateur soucieux de logique … Il en sera de même pour de nombreux autres points dans le film (ex : la securite plutot laxiste dans un cinema regroupant tout le haut commandement du IIIeme Reich), jusqu’à ce que chacun comprenne que la logique n’est ici pas de mise et qu’il faut accepter de se laisser porter par la magie Tarantinienne, qui fonctionne plus souvent qu’autrement.

Bien sûr, qui dit Tarantino dit nécessairement hommages ou emprunts à d’autres cinéastes, et je ne vois personnellement rien de mal à cela. (Le tout avait déjà été discuté amplement ici). En fait, je suis d’accord avec Jim Jarmusch lorsqu’il dit :

" Rien n'est original. Volez à partir de n'importe où du moment que cela entre en résonance avec votre inspiration et nourrit votre imagination. Dévorez les vieux films, les nouveaux, la musique, les livres, les peintures, les photos, les poèmes, les rêves, les conversations diverses, l'architecture, les ponts, les panneaux de signalisation, les arbres, les nuages, les plans d'eau, la lumière et les ombres. Ne sélectionnez que les choses à voler qui parlent directement à votre âme. Si vous faites cela, votre travail (et larcin) sera authentique.On ne peut pas mettre de prix sur l'authenticité, l'originalité quant a elle n'existe pas.Et ne vous embêtez pas à cacher le résultat de votre vol - Célébrez-le si vous vous le sentez. Dans tous les cas gardez à l'esprit ce que disait Jean-Luc Godard : Ce n'est pas d'où vous prenez les choses - mais où vous les amenez."

Cela dit, les hommages dans le film sont nombreux, alors je ne m’attarderai qu’au plus évident, soit celui du premier chapitre (la rencontre entre Hans Landa et M. Lapadite). Tout cinéphile qui se respecte saura que Tarantino est un grand fan du BON, LA BRUTE ET LE TRUAND de Sergio Leone. On ne sera alors pas surpris de reconnaître dans ce premier chapitre la plupart des éléments qui faisaient la force de la séquence du BON, LA BRUTE où apparaît Lee Van Cleef pour la première fois : même prise de vue éloignée de la menace qui arrive au loin, même réaction du père de famille qui dit aux enfants de sortir et qui invite l’intrus à s’asseoir à sa table, même finale explosive, etc.) (voir extrait ci-dessous). Même la musique (thème au piano ressemblant fortement aux premières notes de la pièce FUR ELISE de Beethoveen) rappelle Ennio Morricone (en particulier le "stinger" musical entendu à la fin de la scène, lorsque Shosanna s'échappe, qui est sensiblement le même que celui de la scène ci-dessous.




Tarantino parsème le film d’une multitude d’autres allusions : le court montage relatant les exploits du Sgt Hugo Stiglitz le montre plaçant une oreiller sur le visage d’une de ses victimes pour ensuite la poignarder à travers l’oreiller, ce que faisait aussi Lee Van Cleef dans LE BON LA BRUTE (mais avec un revolver). Comme le film comporte de nombreux personnages allemands, Tarantino n’a pu s’empêcher d’en appeler un Wilhelm (le cpl Wilhelm Wicki qui fête la naissance de son fils dans la taverne), soit en référence au cinéaste allemand George Wilhelm Pabst, soit en référence au fameux Wilhelm Scream, ce cri utilisé à toutes les sauces dans une myriade de films hollywoodiens depuis les années 50s (et utilisé par Tarantino dans le dernier chapitre des BASTERDS, durant la projection du film NATION’S PRIDE).

Tarantino a encore une fois ici recours à une technique moult fois utilisée par Hitchcock afin de créer le suspense, c’est-à-dire la révélation, par un détail visuel ou sonore, d’un élément d’information qui laisse présager une violence inévitable mais qui tarde à venir (ex : dans le premier chapitre, alors que la conversation semble s’éterniser, on nous montre soudainement la présence de juifs sous le plancher, ce qui sème immédiatement l’émoi chez le spectateur qui pressent avec raison que tout cela va mal se terminer; même chose pour l’arrivée du Jew Bear, annoncée par le son de son bâton de baseball qu’il frappe sur le mur du tunnel alors que la caméra fait un lent zoom vers celui-ci; même chose lorsque Landa revoit Shosanna au restaurant et qu’il lui commande un verre de lait (Ciel ! Il sait qui elle est !) ou dans la scène du bar, lorsque l’officier Nazi regarde les trois doigts du soldat britannique déguisé en officier nazi (Ciel ! Il vient de le démasquer !); bref, technique de suspense efficace, certes, mais rien de bien nouveau …

Ce qui est selon moi TRÈS audacieux de la part de Tarantino, c’est d’avoir délibérément choisi de ne pas axer l’action du film sur les Basterds et ce, MALGRÉ QUE LA BANDE-ANNONCE AIT ÉTÉ PRINCIPALEMENT AXÉE LA-DESSUS (et sur la présence de Brad Pitt) ! Il a pris le risque de décevoir de nombreux spectateurs qui s’attendaient probablement à voir un remake des 12 SALOPARDS à saveur Tarantinesque. On a l’impression qu’il a inséré les quelques scènes des Basterds (qui détonnent un peu avec le reste du film) uniquement pour faire plaisir à ce public, mais qu’en fait il est en train de nous dire : "Oui, j'aurais pu vous faire plaisir et réaliser ce genre de film, et je vous en donne même un aperçu, MAIS je préfère vous raconter l'histoire de la vengeance de Shosanna qui est beaucoup plus intéressante, et si vous me faites confiance, vous resterez jusqu'à la fin et je vous le prouverai !" Et il nous le prouve de façon magistrale !

Saluons aussi l' audace dont il fait preuve en n'hésitant pas à éliminer de façon tout à fait inattendue certains de ses personnages principaux, comme il l'avait déja fait dans PULP FICTION (John Travolta tué par Bruce Willis) et dans RESERVOIR DOGS (tous les DOGS) !

Dialogues favoris :

Shosanna : " En France, nous respectons les réalisateurs."

Bridget Von Hammersmarck : " Est-ce que vous Américains pouvez parler une autre langue que l’anglais ??!!"

Moment qui m’a bien fait rire : Lors de la présentation de Pitt et de ses acolytes déguisés en cinéastes italiens, le geste de la main fait par le soldat (Omar Doom) pour bien montrer qu’il est italien !! Trop drôle !

Moment particulièrement impressionnant : Durant la projection de NATION’S PRIDE, le projectionniste noir entrouvre la porte de la salle de cinéma où l’on voit une scène du film durant laquelle l’héroique soldat Frederick Zoller grave au couteau la croix gammée sur une planche de bois, ce qui provoque une réaction délirante de la part des spectateurs nazis.

Référence psychotronique : le faux nom utilisé par Shosanna est Emmanuelle Mimieux, même nom que l'actrice Hollywoodienne Yvette Mimieux, vedette du film culte grindhouse JACKSON COUNTY JAIL (1976), film faisant partie des films favoris de Tarantino et dans lequel elle interprète une héroine assoiffée de vengeance (à la Kill Bill) suite aux mauvais traitements qu'elle a reçus de la part de policiers Red Neck de Jackson County.

Autre détail amusant : Yvette Mimieux jouait aussi dans le classique de science-fiction THE TIME MACHINE (1960) aux côtés de l'acteur Rod Taylor ... qui joue le vieux Winston Churchill dans INGLORIOUS BASTARDS !!

ERASERHEAD (1977)



“ Un cauchemar de choses sombres et troublantes …” David lynch

Synopsis : Dans une ville industrielle aux allures post-apocalytiques, Henry Spencer (Jack Nance) doit faire face aux conséquences de ses actes lorsque sa copine (Charlotte Stewart) lui apprend qu’elle est enceinte. Elle donne éventuellement naissance à un bébé mutant qu’elle laisse aux soins d’Henry qui, dépassé par les évènements, se met à faire des cauchemars de plus en plus inquiétants.

Historique : Dans les années 70s, David Lynch était un jeune artiste peintre qui ne voyait dans le cinéma expérimental qu’une façon d’explorer de nouvelles techniques de peinture. Ses premières expériences dans le domaine, effectuées alors qu’il étudiait à la Pennsylvania Academy of Fine Arts de Philadelphie, visaient à créer des toiles animées par le biais de techniques de cinéma d’animation. Ses premiers efforts furent remarqués par un mécène (le peintre millionnaire H. Barton Wasserman) qui finança le prochain court métrage expérimental de Lynch (THE ALPHABET (4 minutes) disponible sur Youtube). Un collègue de Lynch, impressionné par le film, lui conseilla de l’envoyer à l’American Film Institue en vue d’obtenir une bourse pour en faire un autre. “Tout ce que tu as à faire, c’est d’envoyer le scénario d’un film que tu veux faire et une copie d’un film que tu as déjà fait !”. Lynch s’exécute. Quelque temps plus tard, il reçoit un appel de George Stevens Jr de l’AFI qui lui apprend qu’on lui octroie une bourse pour réaliser le film surréaliste THE GRANDMOTHER (34 minutes). Stevens révèlera plus tard que les demandes des candidats avaient été regroupées en diverses catégories, et que celle de Lynch s’était retrouvée seule dans une catégorie “inclassable” …

C’est durant le tournage de THE GRANDMOTHER que Lynch collabore pour la première fois avec l’ingénieur de son Alan Splet, qui allait l’aider toute sa carrière à créer les effets sonores troublants que l’on associe à tous ses films. Le succès de THE GRANDMOTHER (dont les thèmes principaux - la solitude, la peur, le désir de fuir une réalité trop pénible - rappellent ceux de ERASERHEAD) allait permettre à Lynch d’obtenir le financement pour filmer ERASERHEAD, son premier long métrage dont le tournage mouvementé, marqué par toutes sortes d’obstacles (principalement financiers) allait s’étendre sur plusieurs années. Le film une fois fini, Lynch en fit parvenir une copie à Ben barenholtz, propriétaire du cinéma Elgin de New York. Barenholtz avait lancé la mode des films de minuits en présentant dans son cinéma des films cultes comme ROCKY HORROR PICTURE SHOW, PINK FLAMINGOES, EL TOPO, etc. Il ajouta ERASERHEAD au programme, et le film trouva tranquillement un auditoire d'admirateurs. (Voir une très bonne liste descriptive des midnight movies ici).

Extrait du film THE GRANDMOTHER (qui utilise en autre la technique de la pixillation popularisée par le canadien Norman MacLaren dans le film NEIGHBOURS) :




Premières minutes de ERASERHEAD :



Points forts : Par l’utilisation tout à fait originale qu’il fait du son et de l’image, Lynch réussit à créer dans ERASERHEAD un univers glauque, mystérieux et unique, comme on en a rarement vu dans toute l'histoire du cinema. On doit pratiquement remonter à l’époque du cinéma muet et à des films surréalistes comme UN CHIEN ANDALOU (Luis Bunuel, 1929) ou LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI (Robert Wiene, 1920) pour trouver une oeuvre a l'imagerie aussi dérangeante (Stanley Kubrick était un grand admirateur d'ERASERHEAD, tout comme William Friedkin et l'artiste suisse H.R. Giger, createur de la creature de ALIEN). Encore aujourd'hui, Lynch refuse d'expliquer les éléments les plus étranges du film (entre autres, la facon dont il s'y est pris pour créer l'affreux bébé mutant), comparant le film à un test Rorschach pour lequel chaque spectateur aura sa propre interprétation, aussi valable que la sienne. Cela peut expliquer le fait que sur le site IMBD, les cinéphiles ont laissé jusqu’à maintenant plus de 400 commentaires, majoritairement élogieux. Chacun y va de son interprétation personnelle du film, certains y voyant la condamnation d'une sexualité irresponsable, d'autres l'illustration de la peur de la paternité (c'est ainsi que je le vois personnellement), etc ... On ne peut nier que le foetus est un motif dominant du film : un foetus "sort" de la bouche de la tête flottante de Henry au tout début du film, le bébé a des allures de foetus animal, Henry retire des foetus des entrailles de sa copine qui dort près de lui (!) et la "dame du radiateur" en écrase quelques-uns lorsqu'elle exécute sa danse ... Symbolique de tout cela ?? Mystère ...

Destruction du bébé-mutant (SPOILERS)