Friday, May 4, 2012

PARLEZ-NOUS D'AMOUR (1976)

"Le talent moi, tu sais, ça fait longtemps que j'pense pus à ça ..."

 Le cinéma québécois des années soixante dix est tristement célèbre pour ses comédies vulgaires (Les deux femmes en or (1970), Les chats bottés (1971)) ou pour ces films que l'on appelait les 'Maples Syrup Porn' (Valérie (1969), L'initiation (1970)). Heureusement, il s'est aussi tourné durant cette période des films de qualité (La vraie nature de Bernadette (1972), L'eau chaude, l'eau frette (1976) et certains d'entre eux ont depuis atteint le statut de films cultes. C'est le cas du film PARLEZ-NOUS D'AMOUR de Jean-Claude Lord.

 Synopsis : Le film relate les tribulations de Jeannot (Jacques Boulanger jouant un peu son propre rôle), animateur de télé à la barre d'une émission de variétés très populaire auprès des femmes d'un certain âge. En pleine période de remise en question, il doit composer avec ses 'fans' envahissantes (Manda Parent, Rita Lafontaine), un mari jaloux (Jacques Thisdale), une conjointe amère (Monique Mercure), un agent profiteur (Claude Michaud) et un chanteur quétaine (Benoit Girard) envieux de sa popularité.

 Points forts : Ce n'est certes pas pour ses qualités esthétiques que l'on se souviendra de ce film (couleurs délavées, montage abrupt de scènes décousues, etc) mais pour ses excellents dialogues. Pas surprenant, puisqu'ils sont le fruit du génie de Michel Tremblay, dont ce fut l'une des rares incursions au cinéma (voir aussi, si vous pouvez le trouver, le classique IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L'EST (1974)). Tout comme dans ce dernier film, les personnages de PARLEZ-MOI D'AMOUR s'expriment dans un langage cru, direct et coloré (voir ci-dessous la scène hilarante où Benoit Girard et Jacques Boulanger discutent de leurs admiratrices). Le film dans son ensemble trace un portrait plutôt sarcastique et déprimant des coulisses du milieu artistique (TOUS les personnages sont arrivistes et ne pensent qu'à leur profit) et n'évite pas certains clichés (la jeune chanteuse qui se laisse tripoter par son gérant pour obtenir son premier contrat). On se souviendra surtout de l'excellente performance de Benoit Girard en chanteur quétaine qui sacre en coulisses mais adopte un faux accent français devant ses admiratrices, et de la pénible séquence où les membres invisibles de la régie réussissent à convaincre une femme passant une audition à se déshabiller complètement (d'autant plus incroyable qu'on nous prévient au début du film que 'ce film est inspiré d'évènements réels, ce n'est pas une histoire dûe (sic) à l'imagination débordante d'un auteur').


Thursday, February 9, 2012

DAUGHTERS OF DARKNESS - LE ROUGE AUX LEVRES (1971)



" Your husband dreams of making out of you what every man dreams of making out of every woman : a slave, a thing, an object of pleasure ..." Comtesse Bathory
Synopsis : Un couple de nouveaux mariés (Danielle Ouimet et John Karlen) en voyage de noces s'arrêtent un soir au gigantesque Hôtel des Thermes d'Ostende en Belgique. En ce début d'hiver, l'hôtel est complètement désert et le couple ne compte y séjourner qu'une seule nuit, mais leurs plans changeront avec l'arrivée de la mystérieuse comtesse Elizabeth Bathory (Delphine Seyrig) et de sa superbe compagne Ilona (Andrea Rau). En quelques jours, la présence de plus en plus envahissante de la comtesse aura un effet cathartique sur les nouveaux mariés qui se découvriront chacun sous un tout autre jour ...


Historique : En plus d'être un film culte très original tant dans sa forme que dans son récit, LE ROUGE AUX LEVRES est d'un intérêt particulier pour le public québécois en raison de la présence de Danielle Ouimet, ex-actrice recyclée depuis en animatrice de talk shows de toutes sortes (dont sept ans à la barre de l'émission BLA BLA BLA). En 1971, forte du succès du film soft-porn VALÉRIE (1969) dont elle était la vedette, Ouimet se rendit à Cannes pour la presentation du film hors competition (hé oui ! VALÉRIE a été présenté au Festival de Cannes !! Autre époque ... ;) et "en l'espace de 15 minutes", comme elle le révèle dans l'entrevue faisant partie des extras du DVD, elle fut engagée par le producteur du film LE ROUGE AUX LEVRES qui demeure, selon elle, "le meilleur film dans lequel elle ait jamais joué. » On la croit sur parole, quand on regarde les autres titres faisant partie de sa courte filmographie (ex : L'INITIATION (1970), Y A TOUJOURS MOYEN DE MOYENNER (1973), ...). Compte tenu qu'elle en était à ses débuts à l'époque du ROUGE AUX LEVRES et qu'elle jouait en ANGLAIS en présence d'acteurs beaucoup plus chevronnés, on peut dire qu'elle s'en tire très bien. Ouimet dit beaucoup de bien en entrevue de Delphine Seyrig qui, apparemment, l'a protégé plus d'une fois du tempérament excessif du réalisateur Harry Kumel.

Ce dernier fait preuve à la réalisation d'un grand sens visuel, aidé en cela par les superbes images du directeur photo Eduard Van Der Enden. Ils ont su exploiter au maximum le potentiel terrifiant de l'Hôtel des Thermes qui, après l'hôtel Overlook du SHINING, est probablement l'hôtel le plus sinistre jamais filmé. Kumel était un grand admirateur de Joseph Von Sternberg et il lui rend un peu hommage en filmant Delphine Seyrig de la même façon que Sternberg filmait Marlene Dietrich à l'époque (ex : la première apparition de Seyrig sortant de sa limousine et où elle est éclairée de sorte que l'on ne voie que sa bouche, ses yeux demeurant dans l'obscurité, sans parler des nombreux plans où elle est filmée en flou, etc.). Il est étonnant qu'un réalisateur aussi talentueux que Kumel n'ait pas connu une plus grande carrière, tellement son style semble avoir influencé plusieurs autres cinéastes. Par exemple, Kumel innove dans DAUGHTERS OF DARKNESS en ayant plusieurs fois recours au fondu au rouge, choix très inhabituel qui sera repris par Bergman dans son CRIS ET CHUCHOTEMENTS un an plus tard. Et la séquence tournée à Bruges durant laquelle Stefan et Valérie aperçoivent des ambulanciers transportant le cadavre d'une jeune fille assassinée rappelle énormément une séquence semblable tournée à Venise par Nicolas Roeg dans DON'T LOOK NOW trois ans plus tard. Kumel et son scénariste Pierre Drouot renouvellent le genre en limitant les effets gore (pourtant très populaires à l'époque dans les films d'horreur de la Hammer Films) et en mettant plutôt l'accent sur l'ambiance, qui, à mesure que le film progresse, devient de plus en plus perverse, le jeune marié se révélant être une brute sadique et infidèle dont l'épouse s'affranchira tranquillement, pour être ensuite facilement séduite par la comtesse (sous-thème légèrement féministe ici). Le rythme plutôt lent du film fait en sorte que les scènes de violence soudaine ont un impact accru auprès du spectateur (i.e. scène où le mari bat sa femme à coups de ceinture (ci-dessous), scène où celui-ci attire sous la douche une vampire qui craint l'eau courante, etc.).



Ajoutons aux nombreuses qualités du film la performance exceptionnelle de Delphine Seyrig (qui, à l'origine, ne voulait pas jouer dans le film mais en fut convaincue par son mari Alain Resnais) en comtesse vampire à la voix rauque tout droit sortie des années 30s (et bénéficiant d'une garde-robe d'époque bien fournie), l'excellente trame sonore de François de Roubaix, et le plan final, qui réussit à rendre un effet propre aux toiles du peintre Magritte : une scène nocturne qui, après un léger panoramique vers le haut, révèle une lumière diurne ...

Bande-annonce de DAUGHTERS OF DARKNESS :